En Inde.

Les moussons qui balaient l’Inde, venant de la mer d’Arabie, déversent la plus grosse partie de leurs pluies sur la chaîne de montagnes connue sous le nom de Ghats occidentales. Lorsque les courants d’air humides atteignent le plateau du Deccan, au sud-est de l’Inde, le déluge diminue à quelque sept centimètres à peine. Le pro fesseur Arthur Irwin se tenait dans l’ouverture de la caverne, regardant le rideau de pluie tomber du ciel gris ardoise. Il avait du mal à croire qu’il s’agissait du même taux de pluie que celui que recevait Londres. L’averse de l’après-midi, qui se terminait à peine, aurait suffi à noyer le Palais de Westminster.

La caverne s’ouvrait sur le flanc d’une colline dominant une vallée étroite étouffée de plantes luxuriantes. La forêt dense, au sud du Gange, constitue la partie la plus ancienne de l’Inde et on disait autrefois le lieu dangereux et hanté de démons.

Irwin s’occupait moins des démons que du bien-être de son expédition dont il ne savait, pour l’instant, où elle se trouvait. Il y avait six heures que le professeur Mehta était parti pour le village avec leur guide taciturne. Ce village se trouvait à une heure de marche par une route boueuse traversant une rivière. Il espéra que le pont ne s’était pas effondré à la suite d’une crue soudaine. Il soupira. Il ne pouvait qu’attendre. Il avait suffisamment de vivres et beaucoup à faire. Irwin pénétra à nouveau dans la caverne, entre deux piliers soutenant un arc en fer à cheval, jusqu’à la nef centrale ou la chapelle.

         Pauvre Mehta. C’était son expédition, après tout. Il s’était montré tellement excité quand il avait téléphoné.

— J’ai besoin d’un ethnologue de Cambridge, pas trop jeune, pour une petite expédition. Pouvez-vous venir en Inde ? À mes frais.

— Le musée indien est-il soudain devenu moins parcimonieux ?

— Non, mais il ne s’agit pas du musée. Je vous expliquerai plus tard.

Les moines bouddhistes qui avaient percé la caverne dans la roche avec des pics et des pioches avaient suivi les paroles du Maître, lequel conseillait à ses disciples de profiter du « repos que donne la pluie « pour méditer et étudier pendant la saison des moussons.

Des portes, de chaque côté de la chapelle, ouvraient sur les cellules Spartiates des moines. Les couches en pierre sur lesquelles Irwin et ses compagnons étendaient leurs sacs de couchage n’étaient certes pas des plus confortables, mais du moins étaient-elles sèches.

La salle principale était construite comme une basilique chrétienne. La lumière de la porte atteignait le fond, où se serait tenu l’autel dans une église. Irwin était émerveillé par les piliers artistiquement sculptés qui supportaient le plafond voûté. Les murs étaient décorés de scènes de la vie du Bouddha et, ce que l’archéologue trouvait le plus intéressant, de scènes domestiques montrant l’existence quotidienne de ces gens et qui avaient permis de dater la caverne de l’an 500 environ.

Le Deccan est célèbre pour ses monastères troglodytes qui, d’après ce qu’on sait, ont tous été découverts. Et puis on avait trouvé celui-ci, dont la végétation cachait l’entrée. Lors de leur première visite, Mehta et Irwin examinaient les peintures quand leur guide, qui se promenait un peu plus loin, les avait appelés du vestibule.

— Venez vite. Un homme !

Ils avaient échangé un regard, pensant que le guide avait découvert un squelette. Quand ils avaient pénétré dans la pièce sombre et fraîche et pointé le rayon de leurs lampes dans l’angle, ils avaient distingué une silhouette de pierre d’environ un mètre cinquante de long. L’homme était allongé, la tête tournée sur le côté. Il tenait sur son ventre un réceptacle en forme de plat.

Irwin l’avait regardé un moment, incrédule, puis était retourné s’asseoir dans la chapelle où Mehta l’avait suivi.

— Qu’y a-t-il, Arthur ?        

— Cette statue. Avez-vous déjà vu quelque chose de semblable ?

— Non, mais de toute évidence, vous, si. Irwin avait nerveusement tripoté sa barbe.

— J’ai fait un voyage au Mexique, il y a quelques années. Nous nous sommes arrêtés près des ruines mayas de Chichen Itzà. J’y ai vu une version plus grande de la statue qui est là. Cela s’appelle un chac moul. Ce réceptacle en forme de plat qu’il a sur le ventre servait à recueillir le sang pendant les sacrifices.

— Au Mexique ? avait dit Mehta sans conviction. Irwin avait confirmé d’un hochement de tête.

— Quand je l’ai vu ici, cela m’a paru tellement déplacé, aussi bien pour le lieu que le temps...

— Je comprends, bien sûr. Mais vous vous trompez peut-être. On trouve de grandes similitudes dans les cultures.

— Peut-être, en effet. Nous devons l’emporter pour la faire identifier. Les yeux de Mehta s’étaient voilés de tristesse.

— Nous n’avons même pas commencé notre travail !

— Il n’y a aucune raison pour ne pas le faire plus tard, mais ceci est important.

— Bien sûr, Arthur, avait dit Mehta avec résignation, en se rappelant combien Irwin était impulsif, même lorsqu’ils étaient étudiants à Cambridge.

Ils étaient retournés au village, avaient repris leur camion et s’étaient dirigés vers la ville la plus proche pour téléphoner. Mehta avait proposé d’appeler Time-Quest, la fondation qui finançait l’expédition originale, pour demander une nouvelle subvention afin d’emporter la statue. Il avait rappelé à son ami que leur seule obligation envers Time-Quest était de prévenir en cas de trouvaille importante.

Après une longue conversation, Mehta avait raccroché et souri.

— Ils disent que nous pouvons engager quelques villageois, mais qu’il faut attendre qu’ils nous envoient quelqu’un avec l’argent. J’ai dit que c’était presque la saison des pluies, mais ils ont répondu : quarante-huit heures.

Ils étaient retournés à la caverne et avaient photographié et catalogué le site. Deux jours plus tard, Mehta et le guide étaient partis pour le village afin de rencontrer le représentant de Time-Quest. Puis les pluies avaient commencé.

         Irwin travailla sur ses notes. Les autres n’étant pas arrivés au crépuscule, il fit cuire du riz et des haricots. La nuit tomba et il se dit qu’il la passerait seul. Aussi fut-il ravi d’entendre des pas tandis qu’il achevait de laver les plats avec de l’eau de source dans une cuvette.

— Enfin, mes amis, dit-il par-dessus son épaule. Je crains que vous n’ayez pas dîné, mais je peux vous faire cuire un peu de riz.

Il n’y eut pas de réponse. Il se retourna et vit une silhouette debout un peu à l’extérieur du cercle de lumière de la lampe. Irwin pensa qu’il pouvait s’agir d’un villageois envoyé par Mehta.

— Vous m’avez fait peur, lui dit-il. Mehta vous a-t-il remis un message ?

Pour toute réponse, l’homme fit un pas en avant. Un objet métallique brillait dans sa main et, au dernier moment terrifiant de sa vie, Irwin comprit ce qui était arrivé à Mehta et au guide, même s’il ignorait pourquoi.